C’est le poumon de Rivière-Salée. Mais un poumon qui s’asphyxie sous quarante années de détritus. Et pour couronner le tout, la faune qu’elle abrite en son sein est attaquée par un reptile aux allures bien innocentes : la tortue de Floride.
Si elle pouvait parler, la mangrove de Rivière-Salée aurait de quoi se plaindre. Ses 31 hectares sont envahis de détritus en tous genres : bouteilles, sacs plastique, claquettes, frigos, matelas… On y a même retrouvé des cercueils ! Quarante ans de déchets s’accumulent sur plusieurs mètres de hauteur. Et maintenant, sa faune est menacée par un intrus qu’on ne s’attendrait pas à voir dans ces eaux : la tortue de Floride. La chose n’est pas nouvelle puisqu’on y voit de ces petites bébêtes depuis quelques années déjà. « Je pense qu’au départ, ce sont des particuliers qui se sont débarrassés des tortues dans la mangrove. Après les avoir achetées pour leurs enfants, ils finissent par les jeter quand elles sont trop grosses », explique Monique Lorfanfant, vice-présidente de l’Association pour la sauvegarde de la nature néo-calédonienne.
Mais le phénomène s’accélère. Car la tortue semble se reproduire dans ce milieu naturel, même si, pour l’instant, on n’en a pas la confirmation. « On m’a affirmé qu’il y avait des grosses avec des petits derrière. Elles se sont bien adaptées à l’eau saumâtre et semblent bien se porter », souligne la vice-présidente. « Elles supportent très bien les milieux pollués et ont une très forte tolérance aux eaux en haute teneur en sel », rajoute Clémentine Flouhr, hydrobiologiste qui travaille actuellement sur le sujet.
Et le reptile a bon appétit. « Il a ce qu’on appelle un régime opportuniste. Les adultes préfèrent en général les algues, mais s’ils n’en trouvent pas, ils mangent ce qu’ils trouvent », explique Clémentine Flouhr. Après avoir dévoré une bonne partie des petits poissons et des crabes, il s’attaque maintenant aux œufs des oiseaux qui nichent dans la mangrove. « Les équipes de la mairie ont la flemme de nettoyer dans les roseaux. Du coup, ils ont tout arraché. Les nids sont à découvert et les tortues n’ont aucun mal à les manger », s’agace Monique Lorfanfant.
Le parc forestier vient de tester un système pour les attraper : les nasses à crabes. Deux modèles ont été essayés. L’un semble bien fonctionner. Et l’ASNNC pense organiser une pêche massive d’ici quelques mois.
La tortue de Floride a un régime opportuniste
Mais, pour l’instant, les tortues prennent encore leurs aises. « On a perdu quatre ou cinq ans. On aurait dû s’attaquer tout de suite au problème. Mais les gens nous disaient : mais non, ce n’est pas dangereux. Voilà le résultat. »
Décidément, la mangrove n’a pas de chance. Et si la tortue de Floride se plaît tant dans la mangrove de Rivière-Salée, c’est en partie, comme le précise la scientifique, parce qu’elle est très polluée. « Les entreprises de Rivière-Salée, mais aussi du 4e km et même du 6e km et du 7e km déversent des produits chimiques, des polluants, des solvants… Tout se retrouve dans la mangrove. La mairie nous a demandé de cibler les pollueurs : ce sera vite fait. On voit bien ce qui arrive dans la mangrove. Sans parler du reste… », poursuit la vice-présidente. « C’est étonnant de voir cette mangrove de fond de baie, complètement encerclée par la ville, vivre encore avec toute cette pollution. Elle est extrêmement riche en oiseaux tant terrestres que marins. Il y a, par exemple, un petit héron des marais qui y niche toujours. Mais il n’y en a presque plus. » Pollution, tortues envahissantes… La mangrove a du souci à se faire.
Patricia Calonne
Les Nouvelles Calédoniennes du 8/5/2008